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Crissements de Nine Inch Nails
Le groupe au leader mythique, meilleur spécialiste du rock industriel apocalyptique, revient en forme avec un album jouissivement sonique.
Par Laurence ROMANCE
QUOTIDIEN : mardi 17 avril 2007

Year Zero Interscope/Universal. Sortie aujourd'hui.

Internationalement reconnu et célébré depuis plus de quinze ans, Trent Reznor, cerveau de Nine Inch Nails et «parrain» tourmenté du rock computerisé, a dû, comme nombre de ses pairs, affronter une meute de démons personnels venus l'assaillir dès son accession à la gloire. Tout au long des années 90, il s'est trouvé forcé de repousser les avances répétées de Courtney Love, la diva grunge, chaque fois plus furieuse de se voir ainsi dédaignée. Au cours de la même décennie, il a dû s'arranger du «transfert» de plusieurs membres de Nine Inch Nails, rejoignant la dernière mouture en date des Guns N' Roses d'Axl Rose. Enfin, plus récemment, il n'a pas coupé au traditionnel séjour dans «l'enfer de la drogue», dévoilé en 2002 lorsqu'il s'est réveillé dans un lit d'hôpital après une overdose presque fatale.

Depuis sa cure, Trent Reznor est clean, en bonne santé, et s'est même façonné de seyants muscles ces dernières années. Mieux encore, il n'a rien perdu de sa capacité à créer des albums de rock industriel que leur audace n'empêche pas de se vendre par millions.

Menaçant. Au long de sa carrière, Reznor a partagé ce rare don avec une poignée de collaborateurs très spéciaux : David Lynch a fait appel à lui pour la bande-son de Lost Highway ;  Johnny Cash a légué au monde, peu avant de mourir, une inoubliable relecture de Hurt. David Bowie a joué sur scène et enregistré en studio avec lui durant les années 90. Enfin, Dave Grohl, l'ex-batteur de Nirvana, a joyeusement cogné sur l'avant-dernier album de Nine Inch Nails.

En 2007, dans un monde bruissant des mauvaises vibes d'une apocalypse imminente et parasité par la présence constante de forces obscures, les crissements sidérurgiques menaçants de la musique de Reznor sonnent plus pertinents et angoissants que jamais. Sans témoigner d'une progression spectaculaire, Year Zero, le nouvel opus, poursuit brillamment la vision, tout en lap-top et choc du futur, imaginée par son concepteur. «Ça se passe dans une quinzaine d'années environ, pose Reznor. Rien ne va plus. La planète a atteint son point de rupture ­ politique, spirituel et écologique. Ecrit selon la perspective de plusieurs personnes disséminées de par le monde, Year Zero examine différents points de vue face à la vérité imminente.» 

Armageddon. Autrement formulé, le nouvel album de Nine Inch Nails livre une fois encore sa dose de hurlements et chuchotements anxiogènes, comme échappés du plus profond de l'abysse pour se faire happer par un maelström de beats techno secoués et d' electronica hardcore terminale.

Le résultat évoque tout à la fois Depeche Mode à son meilleur goudronneux et Joy Division au XXIe siècle. D'autres, comme Thom Yorke de Radiohead ou Damon Albarn, le leader de Blur et Gorillaz, ont récemment grimpé en marche dans le train fantôme de «l'apocalyse lap-top» pour leurs derniers albums respectifs, mais Reznor demeure le premier et leur maître, le meilleur spécialiste d'Armageddon compacté en laser.