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magazine : industrial introspection
numéro : juin 1991
intitulé : welcome to the machine
langue : français [version anglaise ici]
source : the nin hotline
note : traduit de l'anglais par adx pour alteration 2.0

 

INDUSTRIAL INTROSPECTION - WELCOME TO THE MACHINE

Introduction non retranscrite.

I2: Bon, Trent, à quoi avez vous été occupé récemment ? Le nouvel album va t-il bientôt voir le jour ?
TR: Ouais, je travaille dessus en ce moment. Les derniers mois, j’ai travaillé sur des projets parallèles, dont je ne voudrais pas trop parler car autrement ma maison de disque va vouloir m’attaquer en justice. J’ai aussi monter un studio dans ma maison afin de pouvoir terminer le disque là-bas.

I2: Vous vivez toujours à Cleaveland ?
TR: Non, j’ai bougé à la Nouvelle-Orléans. Il fallait que je m’échappe du Mid-West. Quand je suis revenu de tournée, mon appartement avait été saccagé et j’étais là à me dire : “IL FAUT QUE JE ME CASSE D’ICI !”. Pas que ce soit un endroit totalement nul ou quoi que ce soit mais, c’est juste que, avec ce que je fait, je peux être basé n’importe où. Je peux aller partout. Prendre une carte et voir ce qui à l’air sympa.

I2: Comment, à l’origine, vous êtes vous impliqué dans la musique, et plus particulièrement ce style influencé de l’industriel que vous pratiquez ?
TR: J’ai grandi avec beaucoup de musique et d’instruments autour de moi. J’ai commencé à étudier le piano à l’âge de 5 ans. Mon père était dans l’appareillage électronique et avait un piano électrique. Quand j’ai eu mon premier synthétiseur, ma pratique du piano a stoppé net. Les synthétiseurs me semblaient être tellement plus que de simples instruments. Je ne peux pas vraiment l’expliquer mais ils avaient un certain pouvoir sur moi. C’était le gros jouet sympa qui pouvait faire tous ces sons incroyables. J’étais aussi très branché ordinateurs, électronique, vidéo. Tout ça semblait bien m’aller. J’en suis venu à écrire de la musique quand les synthés MIDIs et les séquenceurs ont débarqué. Et, depuis le début, j’ai toujours composé sur un ordinateur et un séquenceur. Je ne peux m’imaginer composer et m’exprimer avec une guitare ou un instrument conventionnel. L’idée m’est étrangère.

I2: Vous avez donc toujours entretenu une relation confortable avec la technologie ?
TR: Oui, définitivement. Après le lycée, parce que je pensais vouloir une carrière légitime me précédant, je suis allé à l’université étudié l’ingénierie informatique. J’étais intéressé par le fait de pouvoir m’implique dans le design de systèmes informatiques pointus dédiés à la musique, qui, à l’époque, était le Fairlight et tous ces trucs là. Je savais que tout cela allait décoller : l’enregistrement digital multi-piste, les studios informatisés etc… Vous pouvez imaginer comment ce genre d’environnement sera dans 5 ans. Peu importe… Quand j’ai commencé l’ingénierie, je me suis vite aperçu que se n’était que des mathématiques et de la mécanique, plutôt que des applications créatives. J’était davantage intéresse par le fait de devenir la personne qui dirait : “je veux que la machine me fasse telle et telle chose”. Pour moi, les possibilités dont était capable cette technologie étaient plus importantes que la mécanique qui les faisaient fonctionner. Et au même moment, je me suis rendu compte que je ne voulais pas finir comme ces gens dont la vie tourne autour de l’ingénierie, que ce n’était qu’une partie de ce que je voulais faire. Ma véritable vocation était la musique. J’ai donc tout laisser tombé et j’ai glandé pendant quelques années en essayant de trouver ce que je voulais faire. J’ai fini par travailler dans une boutique de musique électronique à Cleveland et j’étais capable de maîtriser un bon nombre de systèmes informatiques, de MIDIs et de séquenceurs différents. De là, j’ai trouvé un boulot dans un studio d’enregistrement en tant que programmeur. Les gars venaient, avaient besoin d’un mauvais beat de batterie, ce genre de truc. C’est là que j’ai appris, seul, l’ingénierie studio. Je travaillais pour presque rien mais je pouvais y aller la nuit et utiliser le studio. C’est à peu près à ce moment là que j’ai lu un article sur Prince et comment il avait l’habitude de rester debout toute la nuit à bidouiller des pistes de démos. Ca me paraissait une idée romantique…, j’ai donc décidé que ça serait ce que je voulais faire… et j’en suis là.

I2: Et quel matériel allez-vous avoir dans votre nouveau studio ?
TR: J’ai quelques samples AKAI S1100, un Macintosh IIFX up-gradé avec les derniers logiciels. En ce moment, j’attends le nouvel ensemble d’enregistrement digital 16 pistes qui est supposé sortir dans les prochains mois. Ca va me permettre d’enregistrer de vrais instruments à la maison puis de les transposer en studio pour le mixage. Je suis plutôt impatient de ça. A la place de couler 100 à 200$ à chaque fois que tu vas dans un studio pour enregistrer, pourquoi ne pas investir cet argent et faire toi-même le travail.

I2: Vous ne seriez pas en train de parler de DigidDesign par hasard ?
TR: Ouais, c’est le nom de l’entreprise qui fait ça.

I2: Je viens juste de mettre la main sur “Freak Show”, le nouvel album des Residents et, apparemment, ça a entièrement été fait sur DigidDesign. Ca sonne vraiment très bien. Pour moi, c’est vraiment l’un des meilleurs trucs qu’ils aient fait depuis un moment.
TR: Ouais, c’est cool. J’ai toujours été fan des Residents. Élaborer des titres à la structure pop avec les outils de la musique industrielle.

I2: Qui d’autre aimez-vous dans la musique dîte “industrielle”, et dans la musique en général ?
TR: Quand j’écrivais PHM, j’ai fait un inventaire de toute la musique que j’aimais. A la fois celle que j’écoutais étant plus jeune et celle que j’aime en ce moment. Je voulais vraiment parvenir à formuler l’idée de ce qui constituait un album puissant, ce qui m’a réellement donner le déclic. Une des choses qui semblait résumer l’ensemble était l’honnêteté, un certain sens de l’intégrité dans le propos. De la sincérité. J’ai utilisé cela comme base de travail. Lorsqu’ est venu le moment de composer la musique, étant donné que j’étais un gros fan de tout le mouvement industriel américain, avant tout car c’était électronique, cela me paressait normal d’utiliser cette forme de musique. J’ai toujours été à fond la musique électronique, mais je trouvais que ça manquait d’intensité comparé au rock. L’industriel était aussi électronique mais il délivrait plus de puissance et d’intensité qu’aucun autre genre musical. Et, en gros, il représentait le total contre-emploi de la technologie qui m’attirait réellement (rires). Ca utilise la technologie musicale moderne, l’ordinateur et le sampler, d’une manière totalement nouvelle. Aujourd’hui, le meilleur de la musique hip-hop, en gros les morceaux produits par The Bomb Squad de Public Ennemy, constituent une toute nouvelle approche du sampling. C’est utilisé comme un instrument plutôt que comme une simulation de quelque chose d’autre, batterie, piano ou quoique ce soit. C’est un instrument à part entière. C’est ça que je trouve vraiment très intéressant là dedans. Dans ce sens, tout ce que ces gars là peuvent produire, je le respecte d’un point de vue musical. D’autre part, du point du vue song-writing, j’aime quiconque pouvant écrire de bonnes chansons. XTC est pour moi un très bon et écrit d’excellentes chansons.

I2: Tout à fait d’accord !
TR: Leurs paroles sont si intelligentes. Et avec de bons refrains. En général, je suis plutôt le genre de gars les morceaux avec des structures pop. Bon nombre de morceaux industriels sont beaucoup plus axés sur une libre forme de groove, avec laquelle je n’ai aucun problème mais, pour moi, j’aime avoir ce genre d’accroche et de structure. Dans ce sens, je suppose que je ne dois pas être très expérimental en matière de song-writing. J’aime donner aux gens ce qu’ils attendent. D’un autre coté, en terme d’arrangement, je tends à devenir beaucoup moins traditionnel. Tous ces groupes qui utilisent ces même combinaisons guitare-basse-batterie, qui viennent toutes des Beatles ou des Stones, m’ennuie totalement. J’aime utiliser différentes choses, en général quoique ce soit qui puisse me permettre d’obtenir le son que je recherche. Beaucoup de ce que je fais a l’heure actuelle peut sembler plutôt organique, genre ça pourrait sonner de la même façon avec une vraie batterie. Et, à certains moments, ça l’est. Mais cette batterie est samplée de différentes manières inhabituelles malgré que tu puisses y entendre certains éléments de l’instrument réel : “Eh, ça sonne comme une batterie”. Mais tu réalises que ça a été produit d’une manière unique. A la maison, j’ai beaucoup de samples d’amis en train de jouer de la batterie ou des lignes de basse que j’ai pu faire. Et bien je peux arranger tout cela pour en faire ma propre musique, prendre ce morceau ici et cette partie là, les repiquer plus lentement, ajouter une partie de guitare… Je coupe et colle jusqu’ à ce que je parvienne à quelque chose d’intéressant. Donc, à la place des classiques compositions sur Mini-Moog, tu mélanges différents sons de provenances différentes, tu piques des sons sur des disques d’autres personnes. Tu deviens une sorte de Dieu de ton propre environnement musical.

I2: Je voudrais revenir à ce que vous disiez à propos de l’honnêteté, son importance dans cette musique qui vous a donné “le déclic”. Je pense que c’est ce qui m’a impressionné le plus la première fois que j’ai écouté Pretty Hate Machine. Cette sincérité rageuse est vraiment mis en avant. Et bien que l’ensemble soit dans un état d’esprit sombre et négatif, on décèle la présence d’une réelle beauté que j’ai trouvé exaltante. Il y a une réelle présence du coeur, de la chaire et du sang parmis toute cette lourde artillerie électronique. Y a t’il pour vous d’autres musiciens électro qui ont ce coeur dans leur musique ?
TR: C’est une question intéressante. Je pense que je n’y avait pas pensé en ces termes. J’était définitivement à l’écoute de ça en faisant l’album, cette juxtaposition de l’humanité acceptant la machine. Pas seulement sur le plan des paroles ou en terme d’arrangement mais simplement en terme de communication de ce concept. Des fois, je voudrais pouvoir puiser la plus dure et la plus riches des textures électro et l’amener contre des vocaux humains rageurs ou une partie de guitare bien réelle. J’avais une règle avec moi-même durant l’enregistrement qui voulais que je ne fasses que 2 prises pour les vocaux. Je chantais la chanson une première fois et, habituellement, c’était nul. Puis j’utilisais entièrement la seconde, bonne ou mauvaise. Même si le diapason ou l’intonation étaient mauvaises. La seule exception possible était que je chante les mauvaises paroles. Je voulait exprimer une certaine vulnérabilité et l’idée que j’étais une personne essayant de garder la tête hors de l’eau, vivant dans cette machine qui roulait en avant.
Comme d’autres groupes, j’aime bien Ministry, qui étaient plus industriel que ce qu’ils peuvent être maintenant. Ils ont plutôt pas mal établit la musique industrielle en Amérique. Ils ont définitivement fait rentrer cet élément de colère et d’agression dans la musique électronique. J’veux dire, la première musique électro à laquelle je me suis intéressé n’était pas des trucs du genre Throbbing Gristle. C’était beaucoup plus Human League ou Devo et d’autres choses moins expérimentales qui ont percé en Pennsylvanie, l’endroit où je vivais à ce moment là. Puis tu as eu les gens qui ont développé leur personnalité “électro” car leur musique était électronique. Gary Numan, Kraftwerk, des trucs très froid, sans humanité. Aujourd’hui, tu as des gens qui veulent juste suivre la technologie plutôt que de  l’utiliser pour innover. Les gens qui font les arrangements pour Paula Abdul ou Madonna, ils achètent juste le matos, lise le manuel, et font les sons que le manuel leur dise qu’ils peuvent faire. C’est pourquoi tous les sons des hits des dance-clubs sonnent à l’identique. Ils sont tous programmés à partir du bouquin. Mon dieu, j’ai oublié la question. Nous parlions de 10 choses différentes à la fois.

I2: [rires] C’est la manière dont j’aime faire les choses. Parlons maintenant davantage “du fantôme dans la machine”. J’veux dire, j’aime bien explorer les extrêmes. J’ai donc passer le plus clair de mon temps avec la rage émotionnelle du punk et l’automatismes de Kraftwerk, Devo et d’autres groupes de la scène industrielle des débuts. Mais, au bout du compte, ce qui m’intéressait c’était la cybernétique, cette relation entre l’homme et la machine. Je pense qu’il y a une âme et une dynamique dans votre premier album qui ne peut venir que de cet échange réciproque entre hommes et machines. Quels autres buts aviez vous pour ce premier disque ?
TR: Simplement cracher à la gueule de pas mal de monde [rires], attirer leur attention. J’avais des producteurs connus comme Adrian Sherwood [Cabaret Voltaire, Ministry], Flood [Nitzer Ebb, Depeche Mode], Keith LeBlanc [Tackhead], Jhon Fryers [Cocteau Twins] qui m’ont aidé. J’veux dire, je n’était pas juste là pour vendre des disques. Je pense que pas mal de monde peut trouver dans le disque des choses qui le surprenne et quelque chose d’un peu différent de la plupart des trucs du genre. Beaucoup de personnes viennent à nous grâce aux concerts, puis vont acheter le disque. Nos concerts sont assez différents du disque. Je pourrais juste me ramener avec des lecteurs audio, 50 synthés ou je ne sais quoi et recréer le son du disque. Mais je suis beaucoup plus intéressé par le challenge d’avoir 4 musiciens interprétant ce qui, à l’origine, a été composé sur un ordinateur par une seule personne. De cette manière, je ne m’ennuie pas, il y a beaucoup d’interaction et c’est une interprétation unique de ma musique. Le disque et les concerts sont pas mal différents. Le disque, c’est moi à la maison en train de me masturber sur un ordinateur, et les concerts, c’est moi me masturbant avec un public [rires].

I2: [sarcastiquement] Hmm, sympa !

TR: Tout le monde emmène son K-way !

I2: Quand Pretty Hate Machine est sortit, il y avait pas mal de fans pur et dur de musique industrielle qui disait: “ce n’est pas de l’industriel, c’est de la pop!”
TR: Et ils avaient parfaitement raison. Cet album n’est pas purement d’un quelconque style. Si j’écoute, disons un disque de Skinny Puppy, ça a un son vraiment unique, ça définie une certaine théorie musicale. Vous pouvez dire sans le moindre doute: “c’est un album de musique industrielle”. C’est vraiment noisy, c’est incompréhensible [pour la plus grande partie], c’est orienté dance. Pas que ce soit mauvais, j’veux dire, Puppy est définitivement une influence pour moi. Bien que je ne veuille pas finir comme le Vanilla Ice de la musique industrielle [rires], je veux être amener à mélanger davantage de choses. Je voulais prendre ce que j’aimais de cette musique. Ce qui me pose problème avec l’industriel, c’est que ce n’est pas vraiment ma musique favorite. Je n’en écoute pas à longueur de temps. J’veux dire, sur le plan des paroles, c’est plutôt inexpressif. En gros, il communique sur une unique émotion qui est la hargne féroce. Ce que je voulais faire, c’est prendre cette part de rage et ajouter d’autres émotions comme la vulnérabilité, la faiblesse et porter mon attention sur les paroles, plutôt que de chanter la même chose encore et encore. Ca dépend donc de la manière dont tu regardes les choses. Est-ce que je prends une chanson pop et je l’arrange à la sauce industrielle pour tromper les gens et leur faire croire que nous sommes un groupe indus, ou est-ce que nous sommes un groupe indus qui fait davantage attention aux paroles et, en batârdisant un peu le genre, fait s’y intéresser davantage de gens. Nous avons vendu plus de disque que la moyenne des groupes indus, et je ne me préoccupe pas là du nombre, mais peut-être est-ce parce nous avons donné davantage de moyens aux gens pour s’y intéresser. Un problème que j’ai avec Skinny Puppy, par exemple, c’est que pendant qu’ils font bien quelque chose, la hargne et la médiocrité des sentiments, je n’ai pas forcément envie d’entendre ce sur tout un album. Arrivé un moment, ça commence vraiment à m’emmerder. On passe !

I2: Je vois ce que vous dîtes, exactement. ET je pense qu’arrivé un certain point, c’est juste que tu satures et qu’il n’y a plus de réponse émotionnelle. Il n’y a qu’un bruit à blanc et de l’électronique froide. Sur Pretty Hate Machine, j’ai trouvé un grand sens de la libération par rapport à toute cette colère. Y-a t-il un certain optimisme qui se cache derrière votre musique ou c’est juste ce que j’ai ressenti personnellement, cet effet parallèle relié à l’honnêteté.
TR: Ce que vous venez de dire est exactement ce que j’essayais de faire passer. Durant l’enregistrement, j’ai juste suivit mon instinct. Mais une fois terminé, je me suis posé et est écouté les morceaux avec le plus d’objectivité possible. Ce qui n’est pas forcement très évident lorsque vous êtes responsable de chacun des sons. J’ai réalisé que j’étais, en gros, quelqu’un de déprimé et que je me retournais sur les éléments de ma vie avec une certaine mélancolie… ah… c’est… je ne peux pas vraiment l’expliquer. [le ton plus sérieux] Je pense que j’ai probablement besoin d’une thérapie ou d’une forme de conseil. Pas que j’en soit à ce point… j’veux dire, quels étaient mes buts dans la vie ? Je voulais écrire de la musique, l’enregistré, faire tout le truc “rock”, je voulais savoir que des gens écoutaient ma musique et l’appréciaient, que quelque-part dans le monde quelqu’un écoutait mes chansons et se disait: “eh mec, cette musique me parle” ou bien “je suis complètement déprimé, je pense que je vais mettre ce disque”. Je voulais pouvoir donner aux gens ce que j’ai trouvé dans la musique en grandissant. Si je me sentais mal, je mettais un certain disque qui me faisait me sentir beaucoup mieux. Je pense que ça peut être apparenté à quelque chose d’optimiste, le fait d’utiliser la musique pour se sentir mieux. J’était complètement fan de “The Wall” des Pink Floyd à l’époque. Je pouvais être la personne la plus déprimé et suicidaire au monde, je me dirais “foutaise, je vais écouté The Wall”, et d’une certaine façon, au travers de la dépression contenue dans ce disque, ça éclaircirait mon esprit. Je devine que la raison pour laquelle j’hurle certaines choses si fort vient du fait que je veuille les arranger, les rendre meilleures. C’est, je pense, un point de vue plutôt optimiste.

I2: Est-ce que votre musique vous sert de thérapie, comme ça peut être le cas avec la musique d’autres personnes ? J’ai entendu que vos concerts sont des expériences d’une catharsis intense pour le public. Le sont elles pour vous de la même manière ?
TR: Oui, vraiment beaucoup. Je suis incroyablement content du succès de nos concerts, dont j’étais très préoccupé à nos débuts. Mais la réponse du public a vraiment été très bonne. Il y a des gens qui font du stage-diving et d’autres qui font juste ce qu’ils ont envie de faire. Nous avons des problèmes avec les gens de la sécurité. Au début de chaque concert, je dois faire un speech pour dire “ok, les gens sont là pour s’amuser, pas pour se blesser entre eux. N’essayer donc pas de les arrêter. Personne n’est là pour blesser qui que ce soit”. Il faut voir le niveau des mecs de la sécurité… tu sais, petits cerveaux, gros muscles, petites bites…

I2: Comme dit Max Headroom, les gens de la sécurité sont les personnes les plus insécurisantes au monde.
TR: [rires] Exactement. Nous avons fait des concerts ou des gens totalement inoffensifs sautaient sur scène une minute et ressautaient dans la fosse. Et les gars de la sécurité les choppaient et commençaient à les tabasser en les virant hors de scène. On a arrêter le concert et dit: “Eh, les seules personnes qui sont en train de se blesser sont ceux que vous tabasser. Vous causez le problème”. Et alors, des articles sont sortis comme quoi nous ne permettions pas le stage-diving. C’est pas nous. C’est comme pour le Lolapalooza Tour à venir où nous allons jouer dans de grands stades. Je préférerais jouer dans des clubs où les gens peuvent faire ce qu’ils veulent. Cette musique demande beaucoup d’énergie, vous devez donc avoir la liberté de faire ce que vous avez à faire. Rester sur votre chaise et gueuler, sauter sur scène avec moi, peu importe, je m’en fout. Le gros challenge sur cette tournée va être d’essayer de créer ce feeling avec, d’une part, beaucoup de gens qui n’ont jamais vu nos concerts. Et d’autre part, d’énormes affiches sur toute une journée. C’est mon challenge pour les prochains mois.

I2: Je voudrais vous lire quelquechose à propos de vos concerts que j’ai trouvé sur un forum de discussion. Étant donné que je ne vous ai jamais vu joué sur scène, j’ai demandé si quelqu’un vous avait vu et comment c’était. Voila ce qu’une fille m’a dit:
“Difficile à décrire. Intense, Très intense. C’était finit en 1 heure mais c’était plein. Des lumières. Du volume. Il balançait du sirop au chocolat sur les membres du groupe et le public. Beaucoup de gens dans le public faisaient du stage-diving. C’était comme une gym version jungle. Il grimpait, se blessait de part et d’autre du corps. Les chansons sonnent toutes torturées. Et il se tordait dans tous les sens. Je m’attendais à du sang. Vraiment”.

TR: [riant] Et bien, c’est une interprétation plutôt flatteuse. C’est cool.

I2: C’est quoi alors ce truc avec le sirop de chocolat ?
TR: Quand nous avons commencé et que nous avions besoin de faire des photos de presse, nous savions que nous ne voulions pas poser comme de gentils garçons. Et il y avait ce photographe, Jeffrey Silverthorne de l’Ohio qui faisait…
[voir article v.o pour suit du paragraphe]

I2: En parlant d’extrêmes, jusqu’a quels extrêmes êtes-vous prêts à aller dans votre quête de l’expression ? Il y a ce commentaire: “je m’attendais à du sang. Vraiment”. Allez vous continuer à gravir les échelons ?
TR: Il est vrai que, quand je suis sur scène, il y a une autre personne qui prend le dessus et je peux faire des choses que je sais que je ne devrais pas faire. Pas en terme de me blesser, moi ou quiconque, mais plutôt pour tout ce qui est d’éclater des trucs. Comme bousiller ma guitare préférée par exemple. J’veux dire, je ne suis pas intéressé par le fait de me taillader le corps comme Iggy Pop, si c’est ce qu vous demandez.

I2: Je viens juste de lire une interview de Al Jourgensen [Ministry] et Nick Ogre [Skinny Puppy]. Il parlait d’asperger du sang sur scène.
TR: [rires] Quoi ?! Je n’ai jamais entendu ça. Et qu’est-ce que le public est sensé faire ? S’habiller avec des gants en caoutchouc et d’autres trucs pour se protéger ?

I2: Ouais, sûrement. Ca vaudrait mieux. Tout le public habillé en caoutchouc et PVC [rires]. Et que pensez vous des “performances” en art ou toute autre catégorie d’art ? Êtes-vous intéressé par quoique ce soit là dedans ?
TR: J’ai vraiment de grosses lacunes pour tout ce qui est de ce genre de choses.  Je n’ai jamais vécu dans des endroits ou il existait une scène pour ces trucs là.

I2: Et pour tout ce qui touche à l’art plus classique ? Films, livres ?
TR: J’adore les films ! J’irais au cinéma tous les jours si je pouvais. J’aime plus particulièrement tout ce qui est science-fiction ou films d’horreur. Mon rêve est d’avoir David Cronember pour réaliser mon prochain clip. Je sais que je ne devrais pas dire ça, car ça ne va jamais arriver et je vais avoir l’air d’un idiot. En réalité, je détestes vraiment les vidéo-clips. Pour moi, ils ont ruiné pas mal de musique. Ce qui aurait pu donner un format intéressant et expérimental pour le court-métrage est devenu, en gros, une pub pour les chansons. Ca peut être Coke ou Bon Jovi, il n’y a pas de différence. Malheureusement, MTV ne joue rien de ce qui ne rentre pas dans le moule. On a eu pas mal de difficultés à faire passer nos deux clips, du fait de leur soi-disant “contenu violent”. Ministry a eu le meme problème. C’est ok pour eux de voir Cher et Madonna à poil ou bien Warrant dans un truc complètement idiot, c’est tout ce qu’il y a sur MTV, mais nos vidéos, par contre, sont inacceptables.

I2: Vous avez mentionné David Cronemberg comme premier choix pour un réalisateur. J’en déduit que vous êtes fan de ses films ?
TR: Oui, vraiment beaucoup. “Dead Ringers” est l’un de mes films préférés de tous les temps.

I2: Eh, moi aussi ! Pas croyable ! J’adore ce film. J’ai essayé d’en parler à des gens mais ils ne percutaient pas. Avez vous déjà lu une interview de lui ?
TR: Nan.

I2: Il est vraiment fascinant, un type intelligent. Ses films sont bourrés de théories et de métaphores. Il est très intéressé par les idées de Marshall McLuhan, les conflits entre les différents systèmes de compétence: l’esprit contre le corps, la technologie contre la biologie etc… J’ai vu bon nombre de ses films comme des oeuvres post-moderne. Il explore le thème de la nature et des effets de la mutation avant tout le monde.
En parlant de mutant, c’est quoi cette rumeur comme quoi David Lynch va réaliser quelque chose pour vous ?

TR: C’est un truc complètement monté par notre maison de disque. Le problème avec eux, c’est u’ils ne vont jamais me laisser tranquille. Tout ce que je veux, c’est qu’ils me donne de l’argent pour faire le disque, qu’il le sorte et qu’ils se fassent du fric avec. Voila ! Mais non, ils veulent êtres impliqués dans absolument tout. 
[Trent imite un exécutif de sa maison de disque avec une voix de demeuré] : “Qui est-ce qui va réalisé la vidéo ?”
[Trent ennuyé]: “Ce type”
[l’exécutif]: “Pourquoi tu le veux lui, c’est quoi les autres vidéos qu’il a fait ?”
[Trent]: “Celle là”
[l’exécutif]: “Mais on aime pas cette vidéo, ça cartonne pas sur MTV. Et que penses-tu de … euh… hmm… lui là”.
[Trent, énervé]: “Je me contrefout de MTV ! Je ne veux pas de ce type, je veux ce gars là, j’aime ce qu’il fait”.
Et puis ça continue.
[l’exécutif, voix de décérébré]: “Et qui est-ce qui va faire les photos ?”
[Trent, à nouveau ennuyé]: “Ce gars là”.
[l’exécutif]: “On aime pas ce gars là. Et que dirais-tu de… euh… CE type là ?”
[Trent, en colère et frustré]: “Je ne veux pas de ce putain de gars là, je veux CE  mec là ou alors on oublie tout !!”
[rires] Donc, quand on a cherché un réalisateur pour Head Like a Hole, ils ont dis: “Qui est-ce que tu veux ?”. Et je leur ai donné une liste de noms avec David Lynch, David Cronemberg, Federico Fellini : “Vous me choppez un de ces mecs et je le fais votre putain de vidéo-clip”. Quelques semaines plus tard, je les rappelles et ils me disent: [l’exécutif, voix de crétin] “Devine qui est-ce qui va faire ta prochaine vidéo ? David Lynch. On a parlé à son agent, et il veut bien la faire. C’est juste qu’il demande… une centaine de milliers de dollars. On est prêt a lui en offrir 20”. J’étais complètement incapable de parler. Des mois se passent, je les rappelles et demande: [ennuyé] “Ou ça en ait avec Lynch ?”. “On est toujours dessus”. Bien sur, entre temps, ils avaient envoyé un putain de communiqué de presse disant que nous négocions avec Lynch. Donc, depuis lors, chaque interview que je faisais, on me rabâchais avec David Lynch. J’aime vraiment beaucoup David Lynch, tout spécialement ce qu’il a fait avant d’être aussi surexposé.

I2: Revenons au néo-primitivisme. Êtes vous familier des publications Re/Search tel que le “Industrial Culture Handbook” ou “Modern Primitves” ?
TR: Oui, définitivement.

I2: Connaissiez-vous l’existence du “Industrial Culture Handbook” lorsqu’il est apparu, au début des années 80 ? Était-ce une influence pour vous ?
TR:  Je me sent toujours stupide de parler de ça car, à l’époque, vivant dans la Pennsylvanie rurale, on écoutait plutôt du Kiss, du Queen et des conneries comme ça. Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire… j’ai complètement manqué tout ça. Il n’y avait pas de college-radios là j’étais. J’veux dire, mon idée de ce qu’était la musique progressive, c’était The Clash ! Donc, quand j’ai découvert tous ces nouveaux morceaux, ça a été comme un nouveau monde qui s’offrait à moi. Au point que j’ai mis la main sur les publications Re/Search et ait décortiqué tout ça. Je trouvais la scène vraiment fascinante, bien que je n’en fasse pas vraiment partie. Comme “Modern Primitives”, qui est une merde incroyable, ça me fascinait complètement. Une chose qui m’a pénalisé dans la vie c’est, du fait d’où je viens, je n’est jamais eu l’opportunité de rencontrer des gens dont le travail me fascinait vraiment. J’aurais adorer connaître quelqu’un comme Genesis P.Orridge. Une chose que notre succès m’est offert, c’est que j’ai commencé à fréquenter des gens que j’admire, comme Al Jourgensen et Paul Barker de Ministry, les mecs de chez Wax Trax. J’ai travaillé sur des projets parallèles avec diverses personnes et c’était plutôt intéressant. J’ai travaillé avec Al sur un single pour 1000 Homo DJ’s, mais je devrais fermer ma gueule ou ma maison de disque risque de m’attaquer en justice. Martin Atkins de Killing Joke, qui est désormais notre batteur, m’a également impliqué dans le projet Pigface.

I2: C’est quoi le truc avec Al Jourgensen, il est totalement taré ou quoi ?
TR: Ah ouais, il est complètement à l’ouest. Mais si on regarde très profondément à l’intérieur, c’est vraiment un gars sympa. J’ai réalisé que dans ce business, les gens ont tendance à se parer de défenses, tout le monde veut quelque chose de toi. Quand je rencontre quelqu’un, je peux instinctivement ressentir s’il va, oui ou non, devenir un bon ami. J’ai rencontré beaucoup de personnes et je n’ai souvent eu cet instinct immédiat qui veuille que je désire maintenir un lien avec la personne. Al fut l’une de ces personnes. Je ne suis pas un gros fêtard et Al, si. Nous n’avons donc pas cela en commun. Mais pour moi, c’est quelqu’un de bon et d’authentique.

I2: Bon Trent, ce fut sympa. Je pense que je vais vous laissez partir maintenant. J’avais un sale mal de crane lorsque nous avons commencé mais je pense que nous l’avons fait disparaître.
TR: C’est bien. Ouais, ça aura été un réel plaisir pour moi aussi. J’ai eu une autre interview avant vous et le gars essayait vraiment de me passer au grill. Il m’a rappelé combien je détestais les interviews. Mais celui ci était différent. Merci.


traduit de l'anglais et retranscrit par adx pour alteration 2.0