Interview retranscrite du magazine français Virgin Megapresse de Novembre 1999 par Benjamin Six de Dissonance.
Chef de file d’un rock électronique tendu, mélodique et inspiré, Nine Inch Nails approche aujourd’hui de ses dix ans d’existence, dont cinq séparant la sorite de son double nouvel album, " The Fragile ", de son prédécesseur, " The Downward Spiral " Trent reznor, stratège et capitaine de ce vaisseau fantôme de l’industriel, s’ouvre enfin au monde, en acceptant de parler de ces années de dérive et de déprime. Et c’est bien un homme nouveau qui s’est entretenu avec nous de ce qui pousse un musicien de talent à craindre de perdre ces ailes à l’approche de la falaise… Megapresse : Vous avez passé trois ans avant de vous décider à écrire la suite d’un album et deux années enfermé en studio. Trent Reznor : Je n’ai pas été inactif pendant ces trois années, j’ai tourné à travers le monde pendant près de deux ans, j’ai réalisé plusieurs bandes originales de films (" Natural Born Killer ", " Lost Highway ", le jeu " Quake II " (il s’agit de Quake I en fait –TRM)…) et produit l’album " Antichrist Superstar " de Marilyn Manson. Malheureusement, j’ai aussi eu beaucoup de mal à gérer le succès soudain du groupe et la pression qui y était liée. Cette crise existentielle a fait resurgir des problèmes personnels auquel je refusais de faire face et qui m’ont fait douter de mes capacités à dépasser ce que j’avais déjà fait musicalement. En bref, j’ai du apprendre à gérer ma vie. M. : Vous avez partagé l’affiche avec David Bowie, dont la carrière semble aussi vous avoir influencé, a-t’il été de bon conseil pendant cette période ? T.R. : les artistes qui ont un parcours aussi exemplaire et varié que David Bowie sont rares, et nous avons évidemment beaucoup parlé pendant notre tournée commune. Mais, au moment où je sombrais dans la déprime, personne à part moi-même n’avait le pouvoir de me venir en aide, c’est pour cela qu’il m’a fallu beaucoup de temps et de courage pour finalement affronter mes démons. D’un autre point de vue, je pense que la carrière de Bowie et la façon avec laquelle il a su se remettre en cause ont implicitement influencé ma perception de la musique. Son travail avec Brian eno a d’ailleurs été un point de repère important dans la façon d’aborder " the Fragile ". M. : Vous avez remixé et produit des gens aussi différents que Ministry, Bowie, Marilyn Manson, Rob Halford (Two) mais aussi Puff Daddy. Comment s’est produite cette rencontre ? T.R. : (un peu ennuyé…) Hum, Puff daddy m’a contacté pour remixer le titre " Victory " en me précisant que je pouvais faire exactement ce que je voulais, ce qui rendait le challenge intéressant. A l’instar des autres musiciens présents sur ce single (Busta Rhymes, Dave Grohl…), l’idée m’amusait, mais je n’ai pas réalisé à quel point le titre était mauvais, avant et après l’avoir retravaillé ! Plus j’ai essayé de m’y investir, plus je me suis rendu compte que j’avais fait une grosse erreur et que nos univers n’ont décidément rien en commun. M. : " the Fragile " semble séparé en deux parties distinctes, une " chanson " et une plus expérimentale, comme si deux mondes s’entrechoqaient. Comment s’est produite cette dichotomie ? T.R. : Alan Moulder, le producteur, et moi avons tout d’abord composé des pièces musicales assez abstraites, sans réel fil conducteur autre que celui de l’esprit et de l’instinct, sans se poser de questions sur l’orientation générale du disque. Cela a été pour moi une façon de me libérer de l’image de Nine Inch Nails… Plus tard, quand les divers musiciens invités (Mike Garson et Adrian Belew qui avait travaillé avec Bowie, Page, Bill Rieflin de Ministry/Pigface, Hamilton de Helmet…) ont bouclé leurs parties, les autres membres du groupe et moi avons ramené certains titres à un format chanson, parce qu’un album uniquement instrumental ne correspondait pas au groupe. J’ai aussi remarqué que vers la fin des séances de studio, la bonne humeur et le positivisme ambiant m’ont dirigé vers des titres plus mélodiques, plus " gais ". Des morceaux comme " We’re In This Together " et " I’m Looking Forward To Join You " qui ont pourtant été composé très tôt, ont pris une direction moins mélancolique que celle qui régnait au début de l’enregistrement. M. : Est-ce que vous attendrez trois nouvelles années pour remettre le pied à l’étrier ? T.R. : Je ne pense pas , je suis aujourd’hui différent de ce que j’ai pu être il y a cinq ans et j’ai apprit à ne pas répéter les même erreurs. De toute façon, je suis impatient de retourner en studio pour travailler sur le matériel que nous avons laissé de côté après ces deux années d’enregistrement et qui verra vite le jour sous la forme d’un mini album. Les prochains mois risquent d’être très productif. Stéphane Hervé |