ArticlesElegy 12

Article du magazine
Elegy n°19
Decembre / Janvier 2001-02

 

Voici des scans du magazine français Elegy 19

Couverture

Article

Article

Article

 

TRENT REZNOR, En chair et en live

Trent Reznor a décidé de ne pas laisser nos oreilles en paix plus d'une année, c'est donc logiquement pour la rentrée que l'on se paiera un DVD live entre deux tranches audio de NIN, en attendant la prochaine galette prévue pour cet été.
On pourrait croire que Trent Reznor pousse la machine à recycler un peu loin. En effet, après les remixes Things Falling Apart, sortis l'année dernière, qui en avaient laissé plus d'un dubitatifs, c'est au tour d'un live intitulé Nine Inch Nails Live : And All That Could Have Been de nous faire le coup de la ritournelle. Mais si coup il y a, c'est de chapeau puisque les titres violents et mutés de ce live se voient agrémentés d'un deuxième CD calme et déstructuré. Alors Trent plutôt ying ou plutôt yang ?

Comment s'est faite la sélection des titres pour cet album ?
Trent Reznor :
Durant notre dernière tournée pour The Fragile, j'ai commencé à penser au groupe. Il faut comprendre que j'ai réalisé seul en studio presque tous les albums. C'étaient des œuvres organisées, méticuleuses et intimes pour lesquelles j'ai uti-
lisé le studio comme un instrument. Nine Inch Nails n'existait pas vraiment en tant que groupe.Après, il fallait que je rassemble des personnes pour jouer en concert ; là, les morceaux étaient réinterprétés et mutaient au bout d'un moment en quelque chose de plus organique et souvent plus agressif. Au fur et à mesure, les titres sont devenus plus vivants et plus éclatants que lors des enregistrements studio. Durant cette dernière tournée, j'ai donc pensé qu'il serait bien de faire deux choses. Tout d'abord un document vidéo retraçant le tour, et nous avons donc tout fait pour. Nous nous sommes filmés nous-mêmes et en avons fait un DVD. En même temps, je souhaitais avoir un enregistrement live, une sorte de florilège de la musique que j'ai composée depuis que Nine Inch Nails a commencé. Les morceaux sur la tournée constituaient un bon échantillon regroupant les nouveaux et les anciens titres que j'ai plaisir à interpréter et que le public apprécie d'une manière générale. Je crois que ce mélange de réinterprétation des anciens titres et de points de vue sur ma carrière est pertinent.

Tu dis vouloir te diriger vers un son de « groupe », qu'en serait-il de tes prochaines productions studio ? Nine Inch Nails va-t-il devenir un groupe à part entière ?
Pendant longtemps, j'ai souhaité réunir autour de moi les bonnes personnes afin que les choses puissent prendre un caractère de collaboration, de travail commun. En ce moment j'ai deux albums en tête surlesquels j'ai déjà commencé à travailler un peu. L'un sera le fruit de la collaboration et l'autre sera entièrement de moi. Peut-être que cela ne donnera lieu qu'à un seul album, qui sait ? En tout cas, je peux très bien les sortir sous mon nom ou sous celui de Nine Inch Nails. Une raison pour laquelle je n'ai jamais vraiment beaucoup travaillé avec d'autres personnes est que lorsque je me retrouve en studio, je fourmille d'idées. Je ne veux alors pas que quiconque puisse s'interposer entre la table et moi. L'autre raison, et pour être plus honnête, c'est que je manque de confiance en moi et je ne me sens pas en sécurité dans un studio ; je préfère donc travailler seul. Depuis quelques années seulement, j'ai regagné confiance vis-à-vis de mon travail. Je ne me sens plus intimidé par des artistes que j'admire.

Peux-tu nous parler de ces futures collaborations ?
Les rumeurs au sujet de Robert Smith sont-elles exactes ?
Je travaille avec mon batteur en ce moment et ce qui est intéressant c'est que je ne suis pas batteur et qu'il voit donc les choses sous un angle totalement différent du mien. Nous allons partir de ce noyau et intégrer d'autres personnes par la suite. Il n'y a pas de liste de collaborateurs célèbres pour l'instant. J'essaye de garder cela pour moi car je n'ai pas envie d'en parler pour le moment.

Quant tu as sorti The Downward Spiral, d'aucuns ont dit que tu y dévoilais tes vraies origines musicales...
Ce n'était pas quelque chose de conscient. Si tu veux parler de la collaboration d'Andrew Belew (ex-King Crimson), quand je me suis retrouvé en studio pour enregistrer The Downward Spiral, c'était comme un retour aux sources. Je me suis demandé ce qu'un guitariste réellement inventif pouvait faire là-dessus. Ne voyant pas vraiment quelqu'un le faire dans mon entourage, je me suis dit que j'allais appeller Andrew Belew, risquant tout au plus un refus de sa part. Comme il était à Los Angeles à ce moment-là, nous avons commencé à travailler dès le lendemain. C'était surprenant de se retrouver aux côtés d'un homme pour qui j'ai toujours eu de l'admiration et du respect. J'ai cette chance de pouvoir collaborer avec des personnes vraiment intéressantes telles que Mike Garson, par exemple (pianiste de jazz qui tourna avec Bowie de 72 à 74 et encore récemment sur sa dernière tournée - ndlr), des gens qui
ont une approche artistique intelligente. C'est vrai que je suis un grand fan de styles très différents de musique, et notamment de rock progressif. Mais ce sont des choses digérées, on en retrouve également l'influence chez Radiohead ou Tool actuellement

... Mais que penses-tu de ton évolution maintenant ?
J'ai toujours eu ce point de vue précis sur mes créations ; j'essaye de voir mon évolution de façon précise et honnête, de savoir qui je suis réellement quand je le fais. Cela m'a toujours demandé, lorsque cela était nécessaire, d'intérioriser mes sentiments, d'analyser ce qui se déroulait dans ma tête et enfin d'essayer de l'exprimer. Sur un plan musical, j'essaye sans cesse de fouiller et d'expérimenter afin de trouver quelque chose qui pourra me stimuler. Avant de faire The Downward Spiral, je pensais que ce serait un album basse-guitare-batterie, et puis c'est devenu confus, les claviers et les machines m'ont plus attiré et l'album a pris cette couleur. Pour The Fragile, je ne savais que faire jusqu'à ce que ce son organique fait de couches et de textures émerge. C'est un disque plus orchestral. Mes derniers travaux m'orientent plus vers le minimalisme, une sorte de son à la Bauhaus ou à la Joy Division. Je veux réinventer les années 80. J'aime toute cette période : les vieux Cure, les tout premiers Jésus & Mary Chain. Ces influences se font sentir sur mes dernières créations. Je n'essaye pas de produire le même son mais plutôt une ambiance sombre ouverte, très loin de The Fragile en fait, moins de danse, plus d'espace...

Te vois-tu plus comme un compositeur de musique ou un modeleur de son ?
C'est une bonne question car je sais être meilleur modeleur de son que compositeur, mais j'aimerais que ce soit l'inverse. C'est une lutte, je travaille sans cesse dans ce sens. Cela me vient plus naturellement de m'asseoir en studio, de sculpter le son et d'écrire un morceau à partir de cela, de créer une atmosphère et d'y poser une chanson. Dernièrement, je me suis focalisé sur l'écriture des morceaux, puis seulement sur le son et l'espace autour. Je travaille contre ma nature. J'aime... l'album blanc des Beatles, le génie indéniable de l'écriture des morceaux allié à un son, des arrangements et une production originale est très intéressant... peu importe, c'est une très bonne question, c'est une chose dont je suis conscient et à laquelle j'essaye de remédier en ce moment.

Cela t'amène à modifier tes méthodes de travail ? Un découpage particulier ? Peut-être au niveau de ta personnalité ?
C'est un problème de discipline. L'acte d'écriture est terrifiant et douloureux pour moi. Mais c'est aussi l'expérience la plus gratifiante que j'ai jamais eue. Cela me procure les plus grandes joies tout en étant la chose la plus difficile qu'il m'ait été donné d'accomplir. Cela me place dans une situation étrange où le plus grand sentiment d'accomplissement - le fait de savoir finalement pourquoi je suis sur terre et ce que j'y fais, ce dont je suis capable - est contrebalancé par un regard dans le miroir et la découverte de mes erreurs. Pour chaque grand succès, il y a des centaines de ratages. En tant qu'individu, il me manque parfois le courage. Parfois je n'ose pas me tester pour voir sij'ai des choses à dire. J'ai peur d'aller voir plus loin. je veux créer quelque chose de grand mais je ne veux pas le rater, je n'ai pas les moyens de rater, alors j'évite... Il n'y a pas plusieurs personnes dans ma tête même si parfois il m'arrive de mettre mon chapeau d'organisateur ; afin de déceler objectivement ce pour quoi je suis bon ou mauvais, et de m'améliorer. L'écriture des morceaux, d'un album, a toujours été un processus de perfectionnement. Quand je regarde mes débuts, je ne suis pas embarrassé, je me dis simplement que je ne referai pas les choses de la même manière.

Ta recherche musicale est une recherche d'harmonie ? Qu'en est-il de ton monde spirituel ?
Ces dernières années, je me suis simplement demandé pourquoi je faisais ce que je fais, quelle direction prennait ma vie et à quel point je m'étais laissé aller sans rechercher le moindre équilibre. J'ai réalisé que j'avais passé ma vie depuis le début de Nine Inch Nails à essayer d'être bon musicalement, à espérer que ma musique atteigne le public, ces choses que je fais maintenant Tous les autres aspects de ma vie ont été mis en suspens afin de pouvoir atteindre ce but. J'ai travaillé dur et j'ai été récompensé pour cela, alors j'ai travaillé encore plus dur. Mais d'un autre côté, j'arrêtais de grandir et aussi de m'épanouir en temps qu'être
humain. Je me disais toujours que j'aurai le temps plus tard, pour les amis, les relations, ces éléments qui participent à la vie sociale des hommes. Depuis quelques années, je passe du temps, c'est un processus et non un événement ponctuel, à réfléchir sur la conduite de ma vie et à essayer de trouver un équilibre, à déterminer ma place dans la nature. Je m'autorise une vie spirituelle. Si je me retrouve dans ma chambre en train d'écrire de la musique, je me dis qu'il y a un endroit pour cela et que ce n'est pas la seule chose dont je suis capable. Je me sens plus mature et en paix avec moi-même. Non que tout aille mieux, mais j'ai réalisé à quel point j'ai pu être enfantin par le passé en trouvant cette bonne excuse du travail pour m'assommer.

C'est finalement ce qui t'a conduit à The Fragile...
Cette période d'isolement a été extrêmement destructive et a atteint son climax à la fin de Downward Spiral. Avec The Fragile, j'essayais d'en sortir, et désormais, je ne lutte plus de la sorte. C'était un disque transitoire, je me sens autre part aujourd'hui, certainement très loin de Downward Spiral et à quelques pas de Fragile qui était plus un voyage qu'une étape pour moi. Je ne vais pas pour autant faire de la musique joyeuse, je veux en fait dire qu'il y a maintenant un méchanisme tout neuf dans la machine.

Peux-tu nous parler du Deconstructed/Quiet. le CD compagnon de ce live et pourquoi en qualifier les morceaux de déconstruits ?
C'est en effet une sorte de compagnon au live. Nous avions ces versions acoustiques mises à nues avec très peu d'instruments. Nous voulions les jouer sur quelques dates, dans des salles où il aurait été possible de créer une atmosphère intimiste. Rien à voir avec l'ambiance de la tournée. Malheureusement, nous n'avons pas pu le faire, bien que tout ait été prêt. Aussi, nous avons retravaillé ces morceaux ainsi que des instrumentaux et de nouveaux titres pour en faire quelque chose de doux, de mélancolique et d'organique. C'est une étrange petit chose à écouter le dimanche après-midi pluvieux. Je suis désolé pour ça (rires).

Lequel des deux préfères-tu ?
Pour l'instant celui-ci. Je n'ai pas eu à le jouer en concert tous les jours pendant un an et demi. Il sonne plus frais. Mais l'ensemble te donne vraiment une image de ce que nous avons été et de ce que nous sommes actuellement. Cela montre aussi la dychotomie de la formation quand elle joue un son violent sur scène et quand elle se retrouve plus vulnérable pour livrer son cœur de manière organique.

Pourquoi avoir choisi une production « artisanale » pour la vidéo ?
Quand nous avons enregistré la tournée de Downward Spiral, c'était terrible. Nous avions engagé une grosse compagnie pour la réalisation et je n'étais pas vraiment impliqué dans le processus. Car ce n'était pas de cette manière que le public avait pu voir le show. Il y avait toutes ces caméras qui volaient au-dessus de la scène... Ça ressemblait à une mauvaise émission de variétés à la télé. Aussi, quand nous avons eu l'opportunité de faire cette vidéo.
j'ai fait une recherche sur les technologies actuelles. J'ai réalisé que nous pouvions la produire nous-mêmes. Cela nous a pris pas mal de temps, mais le résultat final nous a beaucoup satisfaits. L'esprit de cette série de concerts y est très bien rendu. On a mis beaucoup d'exentricité et d'expérimentation dans ce reportage, je suis très content de ce à quoi nous sommes parvenus.

Y a-t-il quelque chose de spécial à la Nouvelle-Orléans ?
C'est juste un endroit étrange. Il y a quelques années, j'étais à la recherche d'un endroit pour vivre, et à la Nouvelle-Orléans il y a une atmosphère de pourriture très particulier qu'on ne retrouve nulle part ailleurs aux États-Unis. C'est sans doute l'influence française qui m'a fait venir ici.

Tu apprécies la culture française ?
Bien sûr, j'adore ! Je suis un peu sarcastique, je viens de me rendre compte que je suis tombé dans le piège. Ce qui est intéressant ici, c'est que les gens sont plus ouverts et plus tolérants d'une certaine manière, qu'ailleurs. On sent aussi du mystère, quelque chose de présent dans l'air qu'on ne peut ressentir qu'en venant ici.

Qu'est-ce qui est le plus important pour toi à présent ?
De garder une approche artistique de ma musique. Je sais que je fais du commerce en vendant des disques, mais je sais pourquoi je le fais et je continuerai à le faire même si je ne suis plus payé pour ça. Chez les autres artistes que je respecte, tu peux sentir la même chose. J'aimerais pouvoir tourner l'année prochaine, mais il me faut terminer l'album dans un premier temps, et je pense qu'il sortira pour l'été prochain.

Par François Marlier