ArticlesElegy 12

Article du magazine
Rock Sound n°99
Février 2002

 

 

Voici des scans du magazine français Rock Sound 99


Couverture, Sommaire et publicité.

Interview et photo

Interview du groupe français SIN

 

 

NINE INCH NAILS : LIVE AND LET DIE par Yves Bongarçon
Après un "The Fragile" fiévreusement attendu pendant cinq ans et qui n'a pas su, malgré sa richesse et son évolution, séduire largement des kids pour lesquels Korn et Limp Bizkit sont devenus les nouvelles références, Trent Reznor et sa créature N.I.N. se retrouvent aujour­d'hui à une croisée de chemins. Se donnant le temps, une fois encore, d'inventer le futur, Trent sort ce mois-ci un album et un DVD live issus du "Fragile Tour". Panne créatrice ou feinte pour mieux rebondir? L'homme s'explique.

Pendant pratiquement un lustre, c'est-à-dire cinq ans, Trent Reznor a été le musicien sur lequel reposait le futur de la musique américai­ne Rien moins que ça. En 1994, il réalise "The Downward Spiral", album-somme des cinq premières années de carrière sous les spotlights et évolution spectaculaire depuis le travail d'approche et la mise en jambes que constituait "Pretty Hate Machine' Dans les trois années qui suivent, c'est l'artiste qu'il faut avoir vu, entendu, disséqué, duquel il faut être proche à défaut de recevoir ses confidences. C'est aussi l'homme auprès duquel on vient chercher une caution (Courtney Love), des conseils (Marilyn Manson), ou à qui on quémande du son pour une Bande Originale quelconque (David Lynch). Bref, Trent est une star, le type qui a raflé la mise de l'indus­metal au nez et à la seringue de Al Jourgensen, le père-fondateur de Ministry , celui aussi qui a déniai­sé les Américains en termes d'electro-rock (les remixes "Further Down The Spiral"). Trent fait même des émules (son ex-guitariste Richard Patrick s'en va et fonde Filter), c'est dire.

UNE LÉGENDE, UN FANTÔME
Du coup, retranché à la Nouvelle Orléans, en proie à des crises de paranoïa et à une véritable névrose obsessionnelle concernant sa musique, Trent ne va pas voir débouler le rap-rock et le rap-metal. Et tan­dis que, perfectionniste, cent fois il remet son ouvrage "The Fragile" sur le métier, qu'il veut voir à l'époque comme son grand oeuvre. Kom, Limp Bizkit et toute la clique des malotrus californiens lui grillent la priorité dans les coeurs adolescents. Donc dans les charts. Quelques mois plus tard, à la sortie de ce disque riche, foisonnant, intelligent, la partie est déjà Jouée pour être "culte", Trent est surtout devenu une légende, c'est-à-dire un fantôme. Je crois que désormais je m'efforce d'appréhender la vie différem­ment. Peut-être que jai mûri ou que tout simplement j'essaie d'apprendre à vivre sans les choses dont je n'ai pas besoin_ Il faut dire que pendant des années, j'ai flirté avec le côté obscur, la dépression, l'auto­destruction: ça n'a rien de romantique de vivre ainsi au bord du gouffre. Paradoxalement le crois qu'au­jourd'hui pi plus de choses à dire que par le passé et que. peut-être, j'ai enfin le courage de dire ces choses. Musicalement, je suis vraiment impatient de voir ce que ça peut donner avec moins d'ego dedans. Je suis persuadé que te peux étendre conséquem­ment ma palette et explorer des émotions qui m'étaient jusqu'ici inaccessibles", explique Trent apparemment serein en cette fin 2001.

UN ALBUM DE MERDE
Pourtant, c'est vrai, il se sera fait malmener ces der­niers mois.. Laissé pour mort par la vague rap-metal, le voilà qui se fait sérieusement bousculer à domicile par un Radiohead qui même aux USA s'est arrogé le leadership du "rock à contenu" avec vrais morceaux d'innovation et d'intelligence dedans. Ça n'a bien sûr pas échappé à Reznor : "Effectivement, si tu observes la  manière  dont  ‘Kid A'  et ‘ Amnesiac'  ont  été  présentés,  promus et même marketés, avec ce souci du détail, il y a finalement peu de différences entre Radiohead et NI.N. Pourtant, dans la perception générale, 'The Fragile' s'est ramassé et Radiohead a sauvé le rock'n'roll. Ce que je pense, c'est que la maison de disques de Radiohead a fait un boulot formidable en amenant les gens à penser au groupe et à ses disques en tant qu'aboutissements artistiques'. En revanche, mon label a travaillé 'The Fragile' comme on travaille un film de nos jours, massivement au moment de la sortie et, deux semaines plus tard, plus personne! Je ne cherche pas à accuser qui que ce soit en disant ça, pas plus que je ne suis en train de dire que cela a modifié ma propre perception de 'The Fragile'. Néanmoins, le doute est là : 'The Fragile' était-il un bon album qui ne s'est pas vendu autant qu'on le pen­sait où était-ce un album de merde? Moi, je ne vois pas très bien la différence et c'est pour cela que je suis encore si sensible quand on aborde la question."

CHANGER DE PEAU
Pour tenter d'oublier ces doutes qui le rongent, Trent Reznor s'est donc investi massivement dans la produc­tion et la post-production d'un album live et d'un DVD retraçant le "Fragile Tour". Au point de tout faire lui-même : "Au lieu de dépenser des sommes considé­rables, ce qui aurait eu pour effet de faire ressembler ce projet à une vidéo de Bon Jovi, j'ai décidé que nous ferions tout nous-mêmes. Avec la technologie d'au­jourd'hui, c'est simple comme bonjour; au lieu de louer un studio de montage pour cent mille dollars, il te suffit désormais d'un iMac! Ce qui te permet en plus de pouvoir te passer de la légion de trous du cul dont tu avais besoin auparavant et qui généralement se pre­naient pour des metteurs en scène! J'ai travaillé avec un seul type, Rob Sheridan, vingt-et-un ans, du talent, de l'enthousiasme et des idées à revendre et tout a roulé parfaitement. Il fallait juste à mon niveau que j'apprenne les outils et un peu de technique. Mais c'est d'une simplicité renversante, même Miss Nebraska y arriverait du premier coup (rires)!" Le fait est que le résultat est assez étourdissant et même franchement spectaculaire, spécialement au niveau du montage :
"Oui, les gens nous disent : 'comment avez-vous fait? On dirait qu'il y avait cinq cents caméras!' La vérité, c'est qu'on avait juste huit cameras mais qu'on a filmé le spectacle vingt fois, ce qui au final nous faisait quand même cent soixante caméras, ce qui en outre permettait d'éviter les risques d'un tournage en une seule fois : mauvaise ambiance, mauvaise salle, mau­vais public, mauvais groupe ce soir-là, etc.", résume Trent avec franchise. Quoi qu'il en soit, force est de constater qu'une fois de plus Reznor, lorsqu'il doute, se réfugie dans l'image. Déjà au lendemain du raz de marée "The Downward Spiral", il avait passé un temps incroyable à concocter une double cassette vidéo "Closure" qui lui avait permis de faire le vide, mais aussi (à se fier aux notes de pochette de l'époque) de "clore", comme le titre l'indiquait, un chapitre dans l'histoire de Nine Inch Nails. En irait-il de même cette fois-ci encore? "J'y ai pas mal pensé en effet en faisant ce DVD... Je trouve que celui-ci 'est plutôt un bilan intéressant de ce que j'ai fait jusqu'à présent. Du coup, le moral est au beau fixe et je suis de nouveau et plus que jamais confiant dans mon potentiel et celui de N.I.N. En ce sens, c'est donc bien un chapitre qui se ferme et un autre qui s'ouvre. De toute façon, j'ai toujours fonctionné de la sorte, en supprimant de mon univers des choses que j'avais mis des années à y faire rentrer. Mais il faut changer de peau, se renouveler, c'est une nécessité. Pendant des années, si j'ai eu un groupe avec moi, c'est très certainement parce que je n'avais pas complètement confiance en moi et qu'il me fallait l'illusion de partenaires partageant la même aventure, comme pour diviser travail et responsabili­tés. La grande nouveauté aujourd'hui, c'est que je n'ai plus besoin de ça, je crois; j'ai passé le cap. Je suis prêt à faire face. Je dirais même que je suis assez excité à l'idée d'assumer les défis que soit le succès, soit la débâcle mettront sur ma route", confie un Reznor qu'on n'a jamais connu si sincère.

LA MORT
Reste l'après Live Album, l'après DVD. De quoi sera réellement fait le Nine Inch Nails de demain? 'En parallèle avec le travail sur le  DVD et le live, j'ai bossé sur du nouveau matériel. Mais j en suis à un point où je ne sais pas du tout ce que ça vaut. Je crois que jai besoin de prendre du recul par rapport à la direction musicale où je me suis engagé. Je ne sais pas si c'est la bonne. Je vais prendre quelques mois de vacances et après on verra, soit je continue­rai dans la même veine, soit tout cela partira à la Poubelle. Pour l'instant, jai l'impression d'être beau­coup plus concerné par des objectifs personnels, intimes. J'ai envie de travailler sur moi avant tout car ces dernières années, j'ai pris conscience d'un truc idiot, stupide : au bout de l'autodestruction, il y a.,. la mort! Je crois que j'ai envie de me tenir à l'écart de ça quelque temps (sourire)... "

NOTHING/INTERSCOPE/POLYDOR/UNIVERSAL