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Article du magazine
Recording Musicien n°45
Juin 2005

 

Voici des scans du magazine français Recording musicien 45


Couverture & contenu cd

Intro

Interview

Disco

 

NINE INCH NAILS
"UNE PERFORMANCE DE L'ERREUR"

Cinq ans apres the fragile, with teeth, nouvel album de nine inch nails, voit trent reznor prendre une nouvelle direction reclus dans son studio, il a approché ce projet par un angle inhabituel, en privilégiant les textes et en tentant des expériences sonores inédites. une philosophie qui laisse à l'imperfection une place centrale.

Recording : With Teeth, le nouvel album de Nine Inch Nails, est l'enregistrement le plus dépouillé de votre carrière. Pourquoi?
Trent Reznor: Je voulais adopter l'attitude suivante: utiliser le strict nécessaire au lieu de superposer des couches comme je l'avais fait sur The Fragile. Voilà ce qui s'est passé : j'ai quitté mon studio de la Nouvelle-Orléans pour m'installer à Los Angeles. Une fois sur place, j'ai installé un piano, une boîte à rythmes, un ordinateur avec le minimum de plug-in et quelques micros décents. Je me suis ensuite imposé une deadline: tous les dix jours, je devais finir deux démos. J'ai démarré en janvier 2004. Très vite, les chansons se sont mises à affluer. Je n'ai pas passé beaucoup de temps sur les sons. J'avançais tant que les mélodies et les structures basiques se présentaient. En mai, je me suis retrouvé avec vingt-cinq chansons. Je suis retourné à la Nouvelle-Orléans et j'ai tout réenregistré, mais une grande portion de ces démos sonnait mieux que les versions retravaillées.

Remettez-vous en question le processus d'enregistrement de vos précédents albums?
Pour Pretty Hate Machine, mon premier album, j'avais empilé des centaines de démos. J'étais surpréparé au moment d'entrer en studio, et les chansons qui se sont retrouvées sur l'album étaient les vingtièmes versions de mes démos. J'ai construit mon propre studio pour enregistrer The Downward Spiral. Je ne m'en étais pas rendu compte à l'époque, mais la conception des démos est devenue l'enregistrement lui-même. L'écriture, les arrangements, la production et le sound design sont devenus une seule et même chose. La plupart des chansons de The Downward Spiral commençaient sur une boucle d'extrait de film, sur laquelle venait se greffer une autre boucle mélodique. J'ajoutais ensuite la basse puis j'écrivais un refrain et voilà ! Sur The Fragile, j'ai poussé les choses à l'extrême avec des improvisations qui se transformaient en chansons. J'ai écrit With Teeth d'une manière totalement différente: cette fois, je voulais voir ce qui se passait en écrivant d'abord des textes. Par nature, je me sens plus confiant en bidouillant des sons qu'en écrivant des paroles.

L'autre nouveauté de With Teeth, c'est ce son live, pratiquement sans overdubs.
Je voulais que With Teeth sonne comme si un groupe jouait, même si je joue de tous les instruments moi-même. Je ne sais pas comment font les autres groupes, mais j'imagine que s'ils démarrent une chanson à partir d'un beat de batterie qu'ils vont ensuite compléter par des guitares, une basse et des claviers, ils seront toujours tentés de revenir en arrière pour améliorer ces parties. Je ne fonctionne pas comme ça, car tout est basé sur un son de départ, quel que soit l'instrument. Vu sous cet angle. With Teeth est avant tout une performance. Il y a très peu de boucles et les batteries sont live. Je n'ai pas recopié les lignes de basse dans Pro Tools, je joue les parties tout au long du morceau. Les guitares sont simulées par des synthés modulaires.

Est-ce un nouvel univers pour vous?
L'autre découverte de With Teeth, c'est le monde des synthétiseurs analogiques modulaires. Jusqu'ici, j'étais passé à côté. Non seulement ils sonnent bien, mais ils sont capables de créer des sons uniques: quand je branche dix choses en même temps dans cette espèce de Frankenstein que j'ai construit, il est impossible de savoir ce qui en sortira. Les synthés modulaires ne font jamais ce qu'ils devraient faire, peut-être parce que je n'avais pas pris en compte que les câbles étaient sales ou bien que j'avais peut-être trop fait saturer le VCA... Autant de choses que le soft ne résout toujours pas, en tout cas. L'autre intérêt, c'est qu'on ne peut pas sauvegarder un patch, car il y a un millier de câbles, plein des pédales, etc. C'est un peu une performance de l'erreur: si tu switches pendant que tu joues, en général, tu ne seras jamais calé ni accordé. C'était aussi ça, la stratégie.

Quelle relation entretenez-vous avec l'enregistrement numérique?
J'ai travaillé avec Richard Devine, un développeur de Native Instruments, au début de l'enregistrement de With Teeth. À La Nouvelle-Orléans, je possède une SSL, reliée à un Pro Tools et un Logic dont on utilise le sampleur exs24. Richard a regardé le Pro Tools bizarrement et il m'a dit qu'il ne savait pas pourquoi j'avais toutes ces interfaces et toutes ces sorties pour le mix. Il m'a demandé pourquoi je ne mixais pas directement en numérique. J'ai dû admettre, après toutes ces années, qu'il y avait des faders sur les écrans et que ça se passait comme ça désormais, même si rien ne remplacera le contact physique des faders. C'est une nouvelle ère et une bonne époque pour faire de la musique. Mixer en numérique dans un ordinateur est devenu totalement fiable. Je possède certains plug-in qui sonnent aussi bien que du hard. Dans ce domaine, les produits de Native Instruments représentent le haut du panier. Je me suis servi de Reaktor comme d'un processeur d'effet guitares. Tu peux programmer un nombre illimité d'effets de guitares. J'aime beaucoup Absynth également, et non, je ne suis pas endorsé (rires) !

Vous écrivez, jouez, enregistrez et produisez seul. Êtes vous parfois confronté à des problèmes de self-editing ?
Je n'ai pas de groupe autour de moi pour me dicter le son. Mais si je m'impose des règles de conduite dès le départ, je peux trouver le bon chemin. J'ai toujours le problème de définir le son lors d'un projet d'enregistrement d'album. With Teeth s'imposait comme un disque de basses saturées, de batteries live et de riffs de guitares recréés avec des synthés modulaires. Avant d'écrire ce disque, j'ai pas mal tourné autour de certaines idées musicales. J'ai eu aussi peur, à un moment, de sortir des chansons trop accessibles, comme peuvent l'être « The Hand That Feeds », « All The Love in The World » ou « Right Where It Belongs ». Ce ne sont pas les chansons les plus importantes que j'aie jamais écrite. Il n'y a pas de suite d'accords délirante, elles ne durent pas douze minutes, elles ne redéfinissent pas une notion folle du son mais, le lendemain de l'enregistrement, elles étaient dans ma tête et je pouvais les fredonner. J'ai hésité longtemps à les sortir. Elles sont peut-être trop pop mais le résultat me plaît, et il faut toujours assumer les conséquences de ses actes.

On vous définit souvent comme un reclus du studio. With Teeth va sortir et Nine Inch Nails s'apprête à tourner. Comment envisagez-vous votre retour aux affaires après cinq ans d'absence?
J'essaye de ne pas me dire que tout ce que j'entends sur les radios est nul, même si je le ressens profondément (rires). Il existe tellement d'outils fabuleux, de très bons plug-in, d'ordinateurs super-puissants, tellement de choses encore inaccessibles il y a quelques années... Si beaucoup ignorent encore qu'ils possèdent un très bon multipiste avec Garage Band, chacun est en position de sortir un disque soniquement viable de nos jours. Malheureusement, tout le monde sonne pareil aujourd'hui.

Dans ce contexte, quel est le message de Nine inch Nails?
Je n'ai jamais cherché la perfection. Le message que j'essaye de transmettre au travers de ma musique et de mes textes est celui de l'imperfection. Quelque chose d'un peu cassé.

c. g.
Nine Inch Nails With Teeth
(Interscope/Polydor/Universal)

 

REMIXES VIRTUELS
Les pistes séparées de « The Hands That Feeds », le premier single de With Teeth sont disponibles depuis le 18 avril sur le site officiel de Nine Inch Nails (www.nin.com). Les fichiers sont téléchargeables via iTunes et peuvent être retravaillés dans Garage Band. '« Les fans seront libres de remixer, embellir ou détruire le morceau », indique un Trent Reznor déjà très satisfait des versions country et latino proposées par les internautes.

TRENT REZNOR ET ERIK SATIE
« Au moment de la sortie de The Fragile, et surtout du projet All That Could Have Been (voir discographie), beaucoup de journalistes ont écrit que Satie était une de mes principales influences. "Erik qui ?" leur ai-je répondu. Ceci dit, j'avais déjà entendu sa musique, je sais qu'elle était présente dans mon subconscient, j'aime beaucoup les trois Gymnopédies, qui
sont sans doute parmi mes morceaux préférés. »

DISCOGRAPHIE

PRETTY HATE MACHINE, 1989 (TVT RECORDS)
Fin 1988, Trent Reznor, 23 ans, signe son premier contrat d'enregistrement avec TVT Records, qui engage quatre producteurs pour travailler avec lui: John Fryer (Cocteau Twins), Flood (U2, Erasure), Adrian Sherwood et Keith LeBlanc (Tackhead). Leurs influences combinées donnent au premier Trent Reznor/Nine Inch Nails (Reznor est Nine Inch Nails) une allure déjà singulière. Imaginez les membres de Ministry, Skinny Puppy et Depeche Mode jammant jusqu'à plus d'heure dans un studio perdu dans Gotham City : vous êtes en train d'écouter Pretty Hate Machine. Rock industriel fantasmé house ? Heavy-metal siliconé dance? Les réponses ne sont pas encore définitives... Les contours se précisent... La révolution Reznor est en marche.

BROKEN, 1992 (INTERSCOPE/TVT RECORDS)
Est-ce bien le même groupe? Oui, mais trois ans de tournées et de galères diverses ont découpé au scalpel les visions soniques de Reznor, qui explose rageusement le mur du son en sollicitant tout l'arsenal de la technologie moderne - sampleurs, ordinateurs, etc. Qu'on ne se méprenne pas, les guitares, hurlantes comme une meute de sirènes en folie, régnent en maîtresse sado-maso. « Wish » gagne un Grammy dans la catégorie « Best Metal Performance »: « la seule chanson parlant de "f'tst fuck" à avoir jamais gagné un prix... » précisera, non sans malice, Reznor... Le son NIN est né. Aux abris !

THE DOWNWARD SPIRAL - THE DELUXE EDITION 1994 (2 CD NOTHING/INTERSCOPE)
L'incontestable chef-d'œuvre. Influences majeures et revendiquées: le Low de David Bowie, Lou Reed (période Metal Machine Music?), Iggy Pop - « Closer », le presque-tube de Downward..., prolonge son « Night-clubbing » de 1977 (produit par... Bowie). Entre fulgurances-vitriol et plages de douceur jaunâtre (« March of The Pigs », « A Warm Place »), les contrastes sont saisissants. Cet hyperrock postmoderne est plus chromatique qu'harmonique, mais reste curieusement mélodique, façon ténèbres (« Hurt »), ancré non sans angoisses cinématiques dans un passé recomposé. Un déjà classique, l'un des rares des années 90.

THE FRAGILE, 1999 (2 CD NOTHING/INTERSCOPE)
Aller plus haut, plus loin que The Downward Spiral? Difficile - impossible? Alors Reznor barre out of nowhere, cap sur le double-album façon The Wall (qu'il vénère). Autant voir grand. Les vieux rock-critics font la grimace: l'ambition, quand elle s'étale ainsi à vif, les irrite. Certes, telle une étrange marée sombre, le vitriol se dilue parfois dans un océan étrangement calme (« The Day The World Went Away »), mais tous ces cruels petits jeux de mikado sonore, ces cris et ces chuchotements d'outre-abysse, ces coulées de lave écarlates, ces violoncelles surréalistes, ces guitares kamikazes, ces pianos fantômes, ces batteries minées, tout ça finit par sévèrement fasciner. Un bon casque, de bonnes oreilles, beaucoup de patience: l'extase en terre promise. Merci Trent.

AND ALL THAT COULD HAVE BEEN 2002 (2 DVD OU 2 CD NOTHING/INTERSCOPE)
Pour expérimenter NIN live, mieux vaut avoir le son (tranchant douloureusement, comme une lame rouillée) et l'image - fascinante, parce que, sur scène, Reznor et sa bande de furieux chorégraphient le chaos, domptent les éclairs, dansent avec les loups. Bref, le DVD est indispensable mais le CD aussi, pour son bonus « acoustique » diaboliquement divin.

Frédéric Goaty