NIN-France : Telemoustique magazine

Plus torturé que jamais, Trent Reznor, âme pensante de la formation américaine, règle les comptes avec l'administration Bush avec un manifeste aussi radical que désespéré.

Mélodique et apaisé, "With Teeth", le précédent album de Nine Inch Nails, sonnait presque incongru dans la discographie des chefs de file du rock industriel américain. Avec "Year Zero", partiellement dévoilé lors de deux concerts complets à l'Ancienne Belgique les 18 et 19 mars derniers, les trublions retournent à un rock brutal et sans concession. Trent Reznor, âme du groupe, y renoue avec ses vieux démons (le bruit, la fureur et un volume sonore en crescendo). "Je voulais un disque très dur, comme pour faire table rase du passé", nous a-t-il expliqué après son show à l'AB.

Il faut avouer que Trent Reznor n'en a pas toujours mené bien large et ce n'est que depuis deux ans qu'il semble avoir retrouvé une vie parfaitement (?) saine. A la sortie de "With Teeth" en 2005, il doutait pourtant de sa capacité à ne pas replonger dans les excès. "Je sors à peine d'une cure de désintoxication. Nous allons partir en tournée, mais si je ressens une attirance, ne fût-ce qu'infime, pour la drogue ou l'alcool, je laisse tomber", lançait-il alors en guise d'avertissement. Musclé comme un Big Jim, Reznor, 41 ans, tient aujourd'hui la grande forme. "J'ai appris à lutter contre le pire ennemi des musiciens sur la route: l'ennui et les tentations interdites qu'il suscite. Pour ne pas replonger, j'ai pris les devants. J'ai commencé à composer "Year Zero" dans le bus qui nous menait de ville en ville. Sans le moindre instrument sous la main, seulement des logiciels de création de sons."

C'est la raison pour laquelle ce nouvel album sonne parfois comme un gigantesque collage sonore?
Effectivement! La manière même dont je l'ai conçu a rendu ce disque expérimental, impulsif et subconscient. Sa fabrication a suivi une logique simple: mettre en résonance des choses qui n'avaient a priori aucun rapport entre elles, faire se percuter des idées et des sons. Et voilà le résultat. Vous le trouvez trop long? Pourtant, les morceaux se tiennent entre eux.

Son titre, "Year Zero", et sa conception en font un album concept?
Oui! Même si cette notion un rien absurde nous fait irrémédiablement songer à des disques très pompeux de Pink Floyd, par exemple. Mon album est inspiré de deux événements qui ont émaillé ma vie privée ces deux dernières années. Bien que torturée, cette période fut également très féconde pour écrire le synopsis de ces chansons, qui, mises bout à bout, racontent une vraie histoire.

T.R. -Nous sommes en 2022, le monde ne va pas bien, La soif de pouvoir et la vacuité de nos dirigeants ont mené l'humanité à sa perte. On ne sait plus très bien qui dirige quoi et qui manipule qui. La civilisation a atteint un point de non-retour à tous les niveaux: politiquement, spirituellement et écologiquement.

T.R.- Et pourtant je ne suis pas pessimiste de nature. Mais nous ne sommes que de passage sur cette terre, et regardez ce que nous en avons fait!Certains peuvent avoir l'impression que je vais trop loin lorsque j'imagine notre avenir sous cet angle. Je pense que le monde n'est plus qu'à deux pas du grand plongeon. "Year Zero" est le disque que je devais faire aujourd'hui! Citoyen américain, je suis en colère de la manière avec laquelle mon pays maltraite le monde.

T.R. – L’humanité n'avait clairement et en tout cas plus été victime d’un tel pillage intellectuel depuis bien longtemps. Il est évident qu’on conditionne un maximum de gens à la pauvreté financière et philosophique pour des motifs religieux. Les Etats-Unis plongent des régions du monde dans le plus total dénuement pour leur imposer le christianisme. Lorsque le Moyen-Orient crèvera des suites de la guerre, les proches de Bush lui enverront alors Jésus pour le sortir de cette mauvaise passe créée de toutes pièces. La religion ne me gêne pas en tant que telle. Ce sont les extrémistes que je stigmatise et leur schéma de pensée manichéen avec les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. On fait croire aux gens que leur vie est sans cesse menacée, alors qu'elle ne l'est sans doute pas spéciale- ment plus qu'avant.

Nine Inch Nails reste visiblement pour vous au moins autant un groupe de rock qu'une tribune d'expression.

T.R. L’un n'exclut d'ailleurs pas l'autre! Je pense vraiment que l'art peut influencer le cours de la vie. Avec l'âge, je ressens de plus en plus le besoin de jouer un rôle démocratique. On tente chaque jour de limiter un peu plus ma liberté d'expression, comme celle de tous les Américains, d'ailleurs. J'avais donc le choix: chanter des niaiseries et regarder la télé, ou résister!

Bien que Nine Inch Nails ait déjà tissé des liens étroits avec le cinéma, en pilotant notamment la bande-son de Lost Highway de David Lynch, son chanteur Trent Reznor pense à un autre vecteur pour décliner son concept d'année zéro.

"J'avais d'abord songé à donner une suite à ce disque sous la forme d'un long métrage. Mais je n'aurais franchement pas été très original. L'avenir du monde reste un thème récurrent au cinéma. La dimension très narrative de "Year Zero" m'a paru nettement plus adaptée au format d'une série télé. Ce média est plus malléable et témoigne d'une formidable vitalité ces dernières années. Je ne parle pas des sitcoms bien comme il faut où le jardinier meuble les après-midi des jolies femmes désespérées du quartier qui restent au foyer. Mais à des exemples de nouveaux projets que j'ai pu voir et qui seront diffusés bientôt. "

Une série télé que Trent Reznor voudrait "apocalyptique, glauque et exigeante pour les neurones". Sur ces questions, on peut lui faire confiance

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Nine Inch Nails : Year zero