Le mois dernier, Philippe Ducayron recherchait desespérément le leader de Nine Inch Nails ("Profession Antechrist part one: la traque"). Ce mois-ci, deuxieme partie: la rencontre. Et une surprise: Trent Reznor, grand pretre du bruit malsain, est un jeune homme posé... |
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Très decontract', Trent Reznor s'affale sur le siège
libre. Me serre la main. La fourre ensuite dans son short et met l'autre
dans ses cheveux. Il fait claquer son chewing-gum. "Prêt ?". Prêt.
L'entretien va durer une heure et demie.
Plus d'une heure de musique, 14 morceaux et pas de single, pas de titre qui fixe l'attention. En vous lançant dans cet album, est-ce que vous saviez ce que vous faisiez ? Vous aviez des repères ? Rien n'était pret. Ce disque, je le voyais comme un tout. Comme une grande histoire ponctuée de chapitres. Je ne voulais pas que cela soit seulement des chansons enchainées les unes après les autres. Sur un plan musical, je voulais étonner les gens, ne pas faire du Nine lnch Nails typique. En avançant, je me suis rendu compte que je ne voulais ni d'un disque metal, ni d'un disque dan- sant. Je voulais me mettre en danger. Vous vouliez prouver quoi ? Que j'étais le seul maître à bord A l'époque de "Broken", j'avais besoin de montrer à quel point NIN pouvait être violent. Cette fois-ci, je voulais faire un disque morne, désespéré. Pour rentrer dans "The Downward Spiral ", il faut plusieurs écoutes. Il faut que l'auditeur s'investisse. La récompense, c'est qu' entre les grooves on découvre des trucs à mon sens intéressants. On ne peut pas écouter ce disque en conduisant une bagnole. Vous vouliez casser la règle du jeu mais les passages "surprenants" de l'album -je pense à "A Warm Place", par exemple, avec sa partie de piano classique- sonnent assez familiers... (Ignorant l'ironie de la question) Ce morceau, c'est un instrumental, je pouvais me lacher. Mon gros problème, ce sont les textes. Je prends plus de risque avec ma musique, ça m'est moins personnel alors je peux y aller. Je peux jouer d' autres musiques mais je n'ai pas les textes. Je suis trop conscient de ce que j' écris. ,Ca m'est plus difficile. Plus douloureux. Les textes viennent avant ? C'est un processus simultané. J'écris les textes d'un côté, la musique de l' autre. Ensuite, j'assemble. Un bout de phrase peut se connecter à vingt, cent idées musicales Je bidouille beaucoup sur mes consoles, je fais des choses qu' il ne faut pas faire. Les com- |
positions prennent ainsi forme.
"Big Man With A Gun", c'est cette image du type prêt à se faire un trou dans la tête qui vous a d'abord inspiré ? Je déconnais avec ce riff, pas une merveille mais ça pouvait servir de base à une courte chanson. Juste un riff, pendant une minute. Rien d'autre. Pas de refrain. Rien à foutre. Je savais quoi exprimer dans cette chanson. Mais les quelques phrases que j'ai ensuite écrites étaient si stupides que j'ai dû les planquer quelque part. Je me disais: c'est de la merde. Je suis cornplétement crétin. Un jour, en studio, je les ai ressorties. Pour voir. Ca allait pour une minute. Ce n'est pas vraiment une chanson, c'est plutôt un point charnière de l' album. BOSNIE Pourquoi avoir séparé le disque en deux parties ? J'étais séduit par l'idée de faire un disque bicéphale. Il y a une face pour les bons jours, une autre pour les moments de déprime. Je ne pense pas avoir atteint mon but. A la fin, les choses ont fini par se mélanger. J'étais sous l'influence de "Low", de David Bowie. Pour tout vous avouer, c'est ce que j'ai essayé de copier. Bowie, vous l'avez découvert quand ? Il y a quelques années. J'ai adoré "Scary Monsters"... Je viens d'un milieu rural. Le peu de musique qui nous parvenait, c'était du Top 40. Un jour quelqu' un a laissé "Hunky Dory" à la maison. J'ai écouté et c'est devenu mon disque favori. Après, j'ai découvert "Low", "Heroes", "Lodger", "The Man Who Sold The World": chaque chanson est surprenante. Ca m'intéresse cent fois plus que tout ce qui a pu sortir ces dernières années. Je ne trouve rien d'excitant à la scène de Seattle,rien de frais, de nouveau ou d'étonnant. La musique industrielle que j'appréciais -les groupes de Wax Trax, Ministry, Skinny Puppy, Neubaten- est morte. Aujourd'hui, c est soit du metal, soit de la techno édulcorée. Les mecs de mon groupe aiment l'ambiant, The Orb, ce genre de merde... Etant moi-même programmer, je sais à quel point il est facile de faire des trucs comme ,ca. Ces dernières années, il n'y a rien qui m'ait donné envie de courir chez le disquaire. Je suis plus impressionné par les vieux disques que j'ai raté Vous n'êtes pas le seul. Comment expli- |
quez-vous qu'on en soit arrivé là ?
MTV diffuse du rock vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans des millions de foyers américains. La musique s'est homogénisée. Mais encore... L'esprit du rock'n'roll, c'est d'avoir une certaine rébellion. De dire des choses qui ne sont pas politiquement correctes. Cette mentalité bien-pensante qui règne en ce momment aux Etats-Unis me rend malade. En réponse, vous provoquez délibérément dans le sens contraire ? Mon but n'est pas d'être le plus politiquement incorrect possible. Dans un sens, votre facon de dire que l'on peut s'affranchir de ses liens en passant par la douleur, est plus saine, si je puis dire, que les paroles d'une chanson de Lenny Kravitz. Merci. Mon plus grand espoir, c'est que les gens puissent se reconnaître dans ma musique. Mais, je ne sais pas si, avec mon public, nous tenons le même langage. Tout ce que je vois, à mes concerts, c'est que je leur gueule dessus. Ils me gueulent dessus. On se gueule tous dessus. Ca fait du bien. On se sent mieux. On se vide. On se purge. C'est positif. La plupart des journalistes jugent ma musique dépressive. Je ne suis pas d'accord. Oui, il y a des moments particu- lièrement sombres. Oui, je traite de sujets angoissants. Oui, j'exprime des émotions malsaines et je n'en suis pas fier. Je vais là où les autres ne vont pas. Là où ils se taisent plutôt que d ' exprirner ce qu'ils ressentent. Mais le résultat est positif. Plutôt que d'abandonner, dire "OK, je suis baisé. Tout est foutu. C'est la fin", c'est une façon de tenter d'améliorer les choses. J'ai mis beaucoup de temps avant de m'en rendre compte. Oui, ce disque est désespéré mais il y a des lueurs d'espoir quand même. Vous croyez à l'idée de rédemption ? Un peu. Je n'ai pas perdu espoir. Si je me sentais bien, J'écrirais sur des choses plus légères, j'imagine. Mais comme je compose uniquement dans les moments noirs. . . Des moments de noirceur totale. Quand ça me tombe dessus, je suis incapable de supporter les autres, de comprendre comment les choses peuvent être si bousillées dans ce monde. Il se passe des trucs tellement atroces. La putain de Bosnie, South Central, la violence dans les rues... Je n'arrive pas à comprendre. |
SHARON TATE
Avant, vous viviez à la Nouvelle-Orléans. Vous vous y sentiez comment ? J'étais trop bien installé. Il me fallait faire un nouveau disque. A LA, j'ai eu l'impression de plonger dans un trou noir pendant plusieurs années. Demain, on se casse dans le grand nulle part. On sera en tournée pendant un an, on va disparaître. Il ne faut pas croire. Je ne suis pas tout le temps déprimé. J'ai juste ces moments noirs. A me sentir désespérément insatisfait. Pourtant, je devrais être heureux. Jusqu'à présent, j'ai obtenu presque tout ce que je voulais dans ma vie. J'ai une carrière qui marche. Mais dès le départ, tout a commencé à déconner. Dès le premier disque ? Oui. Avant même d'avoir du succès, notre maison de disques voulait nous foutre en l'air. Pourquoi ? Parce que ce sont de putains de trou du cul. Voilà pourquoi ! Je haissais ces connards, eux idem. Ils voulaient me détruire. Comme ça, sans raison ? TVT nous voyait comme un groupe pop. Et nous, on leur a donné "Pretty Hate Machine". . Facilement écoutable, comparé au nouvel album... Oui, c'est ce que je me dis aujourd'hui. Mais à l'époque, j'avais vraiment l' impression de partir à l'aventure. Ils m'en ont voulu à mort. Pas de royalties. Il fallait discuter des semaines et des semaines chaque initiative. Il leur fallait quinze jours poour comprendre que non, je ne voulais ni d'un remix house, ni de jolies filles et de bagnoles dans mon clip. Je n'exagère pas. C' était affreux. En plus, je DETESTAIS le type qui dirigeait mon label. Problème: il pouvait me baiser comme il voulait. Il avait entre ses mains un contrat signé de mon nom.C'est arrivé à un point où j'ai failli tout lâcher. Je n'avais plus d'issues. TVT ne nous lâchait pas, les frais de justice étaient extraordinaire- ment élévés. On a été bloqué pendant deux ans. Alors on a tourné. Tourné.Tourné. A un moment, je suis devenu dingue. Et pour vous soigner, vous partez enregistrer dans la maison où Sharon Tate a été assassinée... C'est arrivé par accident. Il y a un an et demi, nous cherchions une maison à la fois tranquille et suffisamment proche de la ville. On arrive à LA, on visite dix maisons. Et on tombe sur celle-là. La vue était superbe, le loyer dix fois moins cher qu'ailleurs. Quand on m'a dit ce qui s'y était passé, j'ai trouvé ça cool. Je sais, ça peut paraître bizarre. En un sens, c'était effrayant. Mais d'un autre côté, je mettais les pieds dans un épisode intéressant de l'histoire américaine. Je ne dis pas que je voulais commémorer quelque chose, hein. A l' intérieur, c'était plus triste que terrifiant. C' était une maison très placide, calme et peut-être un peu |
triste. Je n'ai pas été victime d'horribles
cauche- mars. Quelques frissons, au plus. Après quelques mois, on
s'y habitue. On finit par oublier.
A l'extérieur, on se demandait ce que vous pouviez bien fabriquer dans un endroit pareil depuis aussi longtemps ? J'y retournerais si je pouvais. Mais la maison a été détruite depuis. C'était l' endroit le plus agréable où j'aie jamais vécu. Du haut de mon balcon, je dominais cette cité pourrie... Pas de pélerinage du fan club de Manson devant la maison ? Si. Au début, ils voulaient voir. On les a laissés entrer, prendre des photos. A un point, ça m'a fatigué. Je ne fais pas partie des gens qui admirent ce type (Charles Manson) Il a commis un putain d'acte horrible. Je suis ami avec une fille qui est très liée avec la soeur de Sharon Tate. Ca me met dans une drôle de position. J'essaie de ne pas trop y penser. De toute façcon, je suis habitué aux gens bizarros. Toutes les filles avec qui je suis sorti étaient dingues. A de rares exceptions près. Toutes ? (Il rit) Vous pouvez le dire. De toute façon, je recherche le contact des gens dérangés. GORE Deuxième sujet chaud: les vidéos. Notamment celle de "Happiness In Slavery". Pourquoi passer du temps sur un clip indiffusable ? Et surtout, pourquoi risquer que d'autres l'utilisent à des fins qui ne pourraient que déservir le groupe ? On pourrait croire que c'était un moyen de me faire facilement de la publicité. On me l'a reproché ici et là. Mais, moi, je n'aime pas beaucoup les clips. Je trouve que les jingles de MTV sont plus intéressants que les clips qu'ils diffusent. "Happiness...", j'avais ce concept en tête (un type se fait démembrer par une machine infernale). Le réalisateur n'avait jamais fait de clip. On a bossé ensemble pendant un mois. Tous les deux étions dans un trip film d' horreur, gore. Nous avions décidé de faire quelque chose qu'on aurait envie de regarder. On voyait bien qu'on dépassait les limites mais on ne voulait pas se censurer. On lui retire la bite ? Ouais, on y va. On lui arrache un bras ? Fonce. Je m' en foutais bien que ça ne passe jamais sur MTV. Au moins, on avait plus de chance de se faire remarquer que la dernière putain de vidéo de Lenny Kravitz. Et surtout, on s'est fait plaisir ! Peut-être mais votre clip était franchement dégueulasse. D'ailleurs, même le morceau n'y résistait pas. La musique était affaiblie, reléguée au second plan.. Je suis d'accord. On a juste essayé de trouver une bonne métaphore pour cette chanson. Quelle métaphore ? Sur ces types qui traversent la vie en aveugle Qui font ce qu'on leur dit de |
faire. Qui ne ne pèsent pas le poids de leurs
actes. L'histoire, c'est celle d' un homme qui accepte, sciemment, volontairement,
froidement, de se placer dans une situation tout en sachant qu'il n'y survivra
pas. Au début, il n'a pas peur. Il accepte son sort. Ce clip est
réussi à 70 %. On n'avait pas beaucoup d' argent.
On parle aussi d'autres vidéos, encore plus terribles... Nous avons fait une longue vidéo, quatre clips en tout, pour "Broken". C'est vrament la chose la plus terrifiante que j'aie jamais vu. C'est vraiment, vraiment intense. "Happiness...", à côté, c'est de la crème chantilly. L' histoire ? Un type sefait kidnapper. Il est attaché dans une pièce. Une télévision diffuse mes vidéos et l'agresseur fait subir au type ce qu' il voit dans les films Il lui arrache la queue, les dents et le coeur Il lui chie dans la bouche. Il le fist-fucke, le crame à l' essence. On a tout couvert (sourire). A la fin, l'écran diffuse un film amateur réalisé par un serial killer Pour la touche réaliste Entre autres, on voit un... N'en jetez plus ! Sérieusement, vous vouliez vraiment sortir ca ? Bah, à la fin, on s'est rendu compte que ce |
n'était pas exactement ce que NIN voulait véhiculer.
Je vous assure, c'est plus gore, plus réel que tout ce que vous
avez jamais vu. On était des pionniers en notre genre mais... on
ne pouvait pas.
Qu'est-ce qui vous rend si sensible aux critiques ? Sting disait un jour: "Quand on casse ta musique, c'est pire que de traiter ta femme de boudin" . Pour une fois, je suis d 'accord. Je ne dis pas que je suis un dieu. Mais je m'implique tellement dans ma musique. JALOUX Vous ne prenez pas de distance émotionnelle avec vos chansons ? Je pourrais m'inventer un personnage, me pointer avec une cape et des fausses dents, mais,non,c'est de moi dont il s'agit. Quand j'étais môme, j'étais fan d' Alice Cooper. Ca me degoutait de l'entendre dire: "Alice, ce n'est pas moi, c' est mon double de scène. Je ne suis pas comme ça" et patati et patata... Mon vrai nom, c'est Vincent fuck machin... J'étais vert. Merde, j'y croyais. Maintenant, je comprends. J'essaie d'être honnête. Le plus grand bonheur qu'on puisse m'apporter, c'est admettre que je suis |
sincère. Qu'on aime ma musique ou pas. Mais qu'on
n'essaie pas defaire croire que je fais exprès d'être déprimé,
que j'en rajoute, que je pleurniche. . Allez vous faire enculer ! Vous
n'avez aucune idée de ce qu'a été ma vie.
Vous exprimez tellement de rage qu'on a envie de savoir d'où elle vient, ce qui la motive... Vous êtes en train de prendre votre revanche ? Je n'ai jamais autant été en colère. Contre qui ? Plein de gens. Des amis qui m'ont trahi, qui m'attaquent sur ma vie personnelle. Les jaloux. Les médias que j'ai en horreur. J'ai l'impression de passer en jugement à chaque fois. Ils étalent ma vie privée, ma putain d'enfance... Mais qui en a à foutre ? Bon, je m'y suis fait. C'est le prix à payer. "March Of the Pigs" s'en prend aux médias. A tous ceux qui nous attaquent parce que NIN est devenu si enorme... Y a-t-il vraiment de quoi se mettre en boule ? Si encore j'avais sorti un disque vraiment commercial ? OK Mais il doit y avoir quand même des choses qui vous mettent plus en colère |
que les critiques des fanzines ?
Vu de votre côté ca doit paraître mesquin. Je sais. Mais je vous garantis, quand vous dédiez chaque jour de votre vie à votre groupe, ,ca prend des grosses proportions. Quoiqu'il en soit, je ne me suis jamais senti à ma place. Jamais. Avec votre groupe, maintenant ? Mouais, je suis le boss. Les autres doivent s'adapter. Mais jouer la rock star... Putain ! Donc, vous vous en prenez à ce qui vous touche de près. Oui, ce disque, c'est un peu mon jardin. Je n'ai pas envie de changer le monde. Rien à foutre ! Ça y est, l'album est en boîte. Enfin tranquille ? Ca ira mieux quand nous prendrons la route. Sur scène, on peut apprécier les résultats. En studio, c'est une prise de tête constante. Le manager glisse sa tête à travers la porte. Fin de l'interview. Trent se relève et me serre la main. Merci. C'était presque agréable de parler avec vous. * PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE DUCAYRON
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